C’est l’histoire de 2 enfants dans un petit hameau des alpes italiennes hors du temps. Hors du temps ? Pas vraiment. Le temps a vidé Grana de ses habitants, transformé ses baite en ruines, son école en clapier. Seule reste la famille de Bruno, qui monte les vaches à l’alpage l’été et endure la neige l’hiver. Pietro, lui, vient y passer ses étés avec ses parents. Il y découvre la montagne, celle qui fait briller les yeux de ses parents quand elle apparaît au-dessus des immeubles, au bout d’un grand boulevard, en bas, à Milan. Ces parents qui changent de visage avec l’altitude, chacun·e la sienne. Pour sa mère, c’est l’altitude des forêts, des fleurs, des torrents. Elle ne veut pas entendre parler de la neige et des glaciers. Là est l’altitude du père, au-delà des 3000m. Lui veut toujours aller plus vite aux sommets, il rêve de 4000, les prépare, les collectionne. Pietro, son altitude, c’est autour de 2000, quand la végétation se fait rare, que la pierraille prend le dessus.
Finalement, cette histoire est l’histoire d’une famille, avec un père taiseux, peu attentionné, qui se révèle père uniquement en altitude, une mère qui a passé sa vie à « cultiver les relations à les soigner comme les plantes de son balcon », et un fils qui navigue entre les deux, un peu taiseux comme son père, qui a toujours su observer et écouter comme sa mère, et toustes amoureux de la montagne. C’est aussi l’histoire d’une amitié qui tient malgré les années de silence et la distance, comme un refuge en montagne qu’on n’a pas préparé pour l’hiver et qu’il faut réparer à chaque printemps, mais qui tout compte fait, tient bon.
Et puis surtout, cette histoire est l’histoire de la montagne. Celle qui nous a vu grandir, celle qui nous rassérène quand on la retrouve après trop de temps passé dans la vallée ou en ville, celle qui nous fait rêver avec ses torrents, ses glaciers, ses sommets, ses alpages, ses lacs, ses bêtes et ses êtres humains.
Comment décrire ce que la montagne nous fait ressentir ? Les heures d’un enfant passées à explorer un torrent ; nos yeux irrésistiblement attirés vers les sommets qui nous font « pencher la tête sous le pare-brise en posant les mains sur le haut du volant, en s’appuyant la tempe dessus pour contrôler la météo ou étudier [un] versant ou en admirer simplement le profil au passage » ; les anciens qui se rangent sur le côté du sentier pour laisser passer les plus jeunes qui filent vers le haut, ces anciens de qui on apprend tellement quand on prend le temps de s’arrêter, d’échanger quelques mots ou un casse-croûte ; ces sentiers, empruntés des centaines de fois, en toutes saisons, qui nous font « replonger dans nos souvenirs et remonter le cours de notre mémoire. […] Il n’y a rien de mieux que la montagne pour se souvenir. »
L’émerveillement quand on découvre derrière un éboulement un lac aux eaux de mille couleurs, source du torrent que l’on a remonté des heures durant ; cette sensation d’être hors du temps, hors du monde, et la violence du retour dans la vallée avec ses moteurs et des gens qui courent partout ; la neige ferme du matin sur laquelle on se sent solide et celle de l’après-midi où l’on s’enfonce à chaque pas ; cette neige qui peut passer en un instant de votre terrain de jeu à un piège mortel ; les cairns pour suivre le sentier à vue et l’instinct qui prend le relais quand on n’y voit plus rien ; le vide qui se fait en nous une fois le sommet atteint et nos yeux toujours rivés vers le haut, les lignes de crête, les sommets qu’il nous reste à conquérir ; « la liberté et la joie de l’exploration » en quittant les sentiers tracés pour suivre notre intuition.
Des mots simples pour des émotions simples mais profondes. Pas besoin d’être en montagne pour que Paolo Cognetti nous y emmène avec Les Huit Montagnes.
C’EST DANS LE SOUVENIR QUE SE TROUVE LE PLUS BEAU REFUGE.