Dans l’article expliquant en quoi consistait ma mission à CED, j’écrivais que la charge de travail était importante, d’autant plus lorsque l’on n’est pas du tout qualifié pour le travail demandé.
À commencer par les cours de français. J’ai donc découvert qu’on ne s’improvise pas prof, encore moins prof de Français Langue Étrangère (FLE), quand on ne parle pas la langue du pays. Imaginez-vous en train d’essayer d’enseigner le français, à des enfants cambodgiens, en anglais, alors qu’ils ne le comprennent qu’à moitié.
Ou au contraire, comme me l’a fait très justement remarquer mon papa, imaginez-vous qu’on veuille vous apprendre le russe, en allemand, alors que vous connaissez à peine et l’alphabet cyrillique et les bases de l’allemand.
Un vrai casse-tête, autant pour les élèves que pour le professeur …
À mon arrivée, on m’a dit que j’aurais 4 groupes de français avec qui je devais faire cours tous les jours. Ça s’est très rapidement réduit à 3h/semaine/groupe, ce qui était déjà bien suffisant !
Le contact est bien passé dès le début avec le groupe des grands (13-16 ans) qui parlent déjà bien anglais, et avec qui la communication est plus facile. Eh oui ! l’avantage est qu’ils comprennent au moins à peu près ce que vous leur demandez de faire ou ce que vous essayez de leur expliquer.
Avec les 2 groupes des moyens (12-14 ans), c’était un peu plus compliqué, surtout avec ceux qui sont arrivés au centre tardivement et qui parlent donc très peu anglais. Heureusement, il y en a quelques uns de motivés et qui se débrouillent mieux en anglais qui tirent le groupe vers l’avant et permettent d’avancer un peu. Ou au moins d’en avoir l’impression …
Enfin, avec les plus petits (8-12 ans), c’est vraiment très compliqué. Déjà, ils ne parlent pas un mot d’anglais et n’en comprennent pas beaucoup plus, mais en plus de ça, ils ne maîtrisent pas du tout notre alphabet. Certains diront que l’écrit n’est pas primordial, sauf que quand soi-même on ne maîtrise pas du tout la langue des élèves (le khmer en l’occurence), on se retrouve très vite limité dans ce que l’on fait. Il faut aussi avouer que je me suis retrouvée assez désemparée face à cette barrière de la langue, encore plus dans les cours de français que dans la vie quotidienne, et que mon imagination m’a fait défaut pour inventer des manières sympas d’apprendre à parler le français.
Être prof, en fait, ça ne s’improvise pas !
J’ai aussi découvert que des cours, ça se prépare, et que, surtout quand on n’est pas formé, improviser une leçon, ce n’est pas si évident que ça. Sur ce point, mon problème a surtout été lié au fait que mon travail ne consistait pas qu’à faire les cours de français, mais aussi plein d’autres trucs (cf Je fais quoi ?). Résultat, je n’avais pas de temps ou étais trop fatiguée quand j’en avais) pour préparer mes cours. Ce qui m’a à peu près sauvée, c’est que j’ai pris l’habitude de noter après chaque cours dans un cahier ce que l’on avait fait. Cela me permettait d’ouvrir le cahier en question juste avant les cours pour voir ce qu’on avait fait la veille, et de pouvoir reprendre ce travail pour commencer la leçon suivante. Après, c’était un peu à l’arrache, en fonction d’idées que j’avais déjà eues avant, ou qui me venaient pendant le cours.
J’ai bien essayé de me poser pour réfléchir à une structure globale à donner à mes leçons, pour ne pas faire du sur place et aller de l’avant, mais je n’ai jamais réussi à aller au bout de ma réflexion …
J’ai très vite abandonné les cours avec les petits, à cause des difficultés que j’ai déjà exposées plus haut, et aussi du fait que je ne m’entendais pas bien du tout avec eux au début. De plus, il m’a semblé peu perspicace d’essayer de leur apprendre le français alors qu’ils connaissent à peine l’anglais, qui est à mes yeux plus important que le français.
Après ça, j’avais déjà un peu plus de temps pour essayer de préparer des cours, et les choses se sont mieux passées avec les 3 groupes restants, même si ça n’a pas toujours été facile.
À partir de janvier, les cours avec les petits ont été repris par Pauline et Julien, deux volontaires arrivés en renfort. Et puis à partir du mois de février et l’arrivée de Fanny et Nathalie, je n’ai plus eu que le groupe des grands, puisqu’elles ont chacune repris un groupe de moyens.
J’ai donc continué jusqu’à la fin avec le groupe des grands. Au total, une classe de 6 élèves, pas trop trop dure à tenir, et encore … J’imagine le calvaire que ça doit être de tenir une classe de 25 ou 30 collégiens, ou un amphi de 150 étudiants … :O
Cela m’a beaucoup plu, puisque j’avais déjà plus de temps pour réfléchir à ce que j’allais faire avec eux, et en plus de cela, comme je l’ai déjà dit, c’est avec eux que le contact passait le mieux. 🙂
Soyons honnête, je n’ai pour autant réussi qu’une seule fois à préparer un vrai cours digne de ce nom, et cela m’a pris près de 10h pour 6h de cours. Autant vous dire que ça m’a un peu découragée de réitérer l’expérience vu le travail que j’avais à faire à côté de ça …
Mon groupe des grands au début de l’année qui s’est un peu modifié puisque Soty a quitté le centre en Décembre et Phearak est passé dans le niveau d’en-dessous. De g. à d. : Soty, Lundy, Phearak, SreyNang, SreyPheak, Kimhourng, Pannah et Dimand
Dans les points sur lesquels je me suis attardée, j’ai passé du temps sur la lecture, parce que notre alphabet étant différent du leur, la lecture des mots est déjà un premier obstacle à leur apprentissage. C’est passé par des séances individuelles de lecture de livres pour enfants (j’ai redécouvert « Petit Ours Brun », « Léo et Popi » et « Émilie et Sidonie » avec un grand plaisir !), mais aussi le fait de leur demander d’essayer d’épeler les nouveaux mots appris à chaque séance. Pas toujours facile, mais j’ai senti une progression au fur et à mesure que les mois avançaient ! Et puis c’étaient des exercices qu’ils appréciaient, particulièrement les séances de lecture, beaucoup plus courtes qu’un vrai cours, quand ils avaient un peu la flemme !
Deuxième chose que je n’ai mis en place que tardivement, mais qui a très bien marché, c’est le fait de leur parler français dans la vie quotidienne et le plus souvent possible en cours. J’ai souvent été la première à me plaindre de mes profs d’anglais qui ne nous parlaient que français, mais j’ai trouvé que ce n’est finalement pas si évident de ne leur parler que français (dans mon cas), sachant qu’ils ne le comprennent pas bien. Leur parler en anglais était donc un peu la solution de facilité. Ils étaient en général contents d’essayer de parler avec moi en français, même si ce n’était que pour des petites conversations pas très développées. J’ai vraiment été contente de constater que la plupart du temps, ils sont capables de comprendre ce qu’on leur dit, mais n’arrivent pas à formuler de réponse. Ils répondent alors en anglais, mais comprennent déjà ce qu’on leur dit, c’est une étape de franchie !
Enfin, j’ai essayé de leur apprendre un peu à manier l’outil informatique : recherche internet (ça ils connaissaient déjà à peu près), téléchargement d’images, traitement de texte avec insertion d’images et légendes. N’ayant pas accès à l’informatique à part dans des cafés internet ou des smartphones où ils ne font qu’aller sur Facebook ou Google, je pense que ça ne peut que leur faire du bien de savoir écrire et sauvegarder un document sur un ordinateur. Et puis comme mon ordinateur est en français, ça permet aussi d’apprendre quelques mots !
Je pense (et j’espère !) que j’ai réussi à leur apprendre quelques nouvelles choses et à les faire progresser. En tout cas, j’ai eu l’impression qu’ils s’amélioraient et prenaient confiance en eux au fur et à mesure que l’année avançait. Et ça, ça fait vraiment plaisir !! (Déjà un objectif d’atteint pour cette année !)
En pleine action pendant un cours avec Raya et SreyNang
La conclusion de tout ça, c’est qu’être prof, vraiment, ça ne s’improvise pas, et que nos chers profs sur qui on passe notre temps à râler de la petite section de maternelle à notre diplôme d’ingénieur (ou autre), font quand même un boulot monstre qu’on n’imagine pas pour préparer leurs cours, bien souvent dénigrés … Alors comme me l’a dit ma gentille maman, peut-être bien que je serai plus indulgente avec mes (plus ou moins) gentils profs en rentrant en France !! 😉